CASS, COM, 4 Décembre 2014, Requêtes N°46695/10 et 54588/10
Le 4 décembre dernier, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a refermé le dernier chapitre du dossier des somaliens du Carré d’As.
Cette affaire était relative à la légalité des actions engagées par la France dans les eaux somaliennes, afin de mettre fin à la prise d’otage de Jean-Yves et Bernadette DELANNE et d’appréhender des ressortissants somaliens suspects de faits de vol et de séquestration.
A l’époque des faits, l’infraction de piraterie jugée désuète avait été abrogée du Code pénal.
Après avoir été interpellés et placés sous le statut de rétention administrative durant le convoyage de la Somalie vers la France pendant six jours, les suspects somaliens étaient arrivés sur le territoire français après les parties civiles, et avaient d’abord été placés en garde à vue pendant 45 heures, puis présentés à un juge d’instruction.
Des recours en nullité avaient été engagés pour dénoncer la violation des dispositions du code de procédure pénale et de la convention européenne des droits de l’homme, notamment au regard de l’absence de présentation à un juge d’instruction immédiatement après leur arrivée en France.
La Chambre de l’instruction ainsi que la chambre criminelle de la Cour de cassation avaient rejeté ces recours au prix d’une étonnante motivation. Par un arrêt du 17 février 2010 (n°09-87254, publié au Bulletin), la chambre criminelle avait en effet jugé :
* que la loi applicable sur un navire civil battant pavillon français, au sens de l’article 113-3 du Code pénal était la seule loi pénale de fond à l’exclusion de la procédure pénale…
* que dès leur arrivée sur le sol français, les personnes soupçonnées ont été régulièrement placées en garde à vue puis présentées à un juge d’instruction.
Ces attendus ont été censurés par la Cour Européenne des Droits de l’Homme le 4 décembre dernier.
La Cour a en effet relevé successivement :
– que les stipulations de la Convention s’appliquaient dès l’appréhension des ressortissants somaliens à bord du Carré d’As battant pavillon français (§39),
– qu’à l’époque des faits, le droit applicable ne comportait aucune règle définissant les conditions de privation de liberté (§69),
La Cour en déduit que le système juridique à l’époque n’offrait pas une protection contre l’arbitraire et constate une violation de l’article 5 §1 de la Convention (§ 70 à 72).
Elle relève dans un second temps que malgré le caractère exceptionnel de l’interpellation qui s’est déroulée près de Galkayo, au sud de la Somalie, rien ne justifiait qu’à leur arrivée en France, les suspects ne soient pas immédiatement présentés à un juge d’instruction (§ 100).
Elle note en particulier que le placement en garde en vue n’a pas pour finalité de permettre aux autorités d’approfondir leur enquête et de réunir les indices graves et concordants susceptibles de conduire à la mise en examen des requérants par le juge d’instruction (§103-104).
Ce faisant, la Cour condamne clairement la garde à vue comme technique d’enquête en raison de l’interpellation et de la durée préalable de privation de liberté.
Elle confirme ainsi ses jurisprudences Medvedyev et Vassis et indique que les autorités françaises auraient dû prendre les dispositions nécessaires à la traduction sans délai devant une « autorité judiciaire française » définie comme un juge habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires, excluant le procureur de la République de cette définition dans le prolongement de l’arrêt Moulin.
Au total, cet arrêt du 4 décembre 2014 (Requêtes n°46695/10 et 54588/10) conclut à la violation par la France des articles 5 § 1 et 5 § 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, pour n’avoir pas immédiatement présenté les suspects à un juge d’instruction.
Dans ce dossier, l’un des ressortissants somaliens, Monsieur Ahmed Abdulahi Guelleh, pêcheur présent lors de l’assaut du commando de marine à bord du Carré d’As, avait toujours protesté de son innocence sans jamais être entendu avant de pouvoir s’exprimer devant la Cour d’assises.
Il a finalement été acquitté en 2011 des faits pour lesquels il était poursuivi, après plus de 3 ans de détention provisoire.
Sa garde à vue et la procédure subséquente viennent, 6 ans après les faits, d’être jugées contraires à la convention européenne et ainsi contraires au droit français en application de l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958.
Florent LOYSEAU de GRANDMAISON