CASS, CRIM, 16 mai 2012, N°11-85150
Moins connu que l’abus de bien sociaux, l’abus de pouvoirs est une autre déclinaison d’éléments constitutifs relatifs à l’usage des pouvoirs détenus par les dirigeants des Sociétés Anonymes.
L’article L. 243-6, 4° du Code de commerce dispose ainsi :
« Est puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 375 000 euros le fait pour:
4° Le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d’une société anonyme de faire, de mauvaise foi, des pouvoirs qu’ils possèdent ou des voix dont ils disposent, en cette qualité, un usage qu’ils savent contraire aux intérêts de la société, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement. »
Un patron du CAC 40, Monsieur Antoine ZACHARIAS, a été poursuivi devant le Tribunal correctionnel, pour abus de biens sociaux au préjudice de la Société VINCI.
Il lui était reproché en substance, d’avoir proposé un renouvellement complet des membres du conseil d’administration afin de permettre la nomination d’un nouveau comité des rémunérations, favorable à un déplafonnement total de sa rémunération.
D’après les termes de cet arrêt, le dirigeant social disposait en effet d’une rémunération établie sur des critères d’abord fixes, puis ensuite variables.
Le calcul d’une rémunération purement variable pouvant apparaître plus favorable au dirigeant, il demanda alors au comité des rémunérations, comité issu du conseil d’administration, un déplafonnement total de sa rémunération, indexée uniquement sur une part variable.
Ce nouveau mode de calcul lui fut refusé.
A la faveur d’un renouvellement du conseil d’administration l’année suivante, le déplafonnement total de la rémunération fut accepté par le nouveau comité des rémunérations issu du conseil d’administration renouvelé, et la rémunération du dirigeant augmenta substantiellement, passant de 2 890 530 €, à deux années plus tard, 4 290 265 €.
C’est sur la base de cette nouvelle rémunération que le dirigeant sollicita alors ses droits à retraite-chapeau et indemnités de départ, notamment calculés sur la base de sa dernière rémunération.
Si dans en premier temps le Tribunal correctionnel a relaxé le prévenu, la Cour d’appel de Versailles a retenu sa culpabilité en caractérisant ainsi le détournement de pouvoirs :
– Celui-ci a usé de son statut et de l’influence qui en découle pour évincer les membres du comité des rémunérations, hostiles au déplafonnement de sa rémunération et pour mettre en place un nouveau comité qu’il savait acquis à ses voeux et dont l’intervention aurait des conséquences très favorables pour lui, non seulement sur ses rémunérations, mais encore sur le calcul de sa retraite complémentaire et de son indemnité de départ à la retraite qu’il savait proche et dont il avait lui-même décidé la date ;
– la nouvelle formule adoptée ne présentait aucun aléa au vu des résultats financiers constamment en hausse de la société ;
– Il pouvait compter sur l’unanimité des administrateurs de la société pour accepter ce nouveau mode de rémunération dès lors que le conseil d’administration entérinait systématiquement les propositions des comités spécialisés ;
– les importantes réserves faites par le cabinet Towers et Perrin sur les conséquences d’une entière variabilité de la rémunération n’ont pas été portées à la connaissance du conseil d’administration ;
– Les agissements de M. X…, motivés par la seule recherche d’un enrichissement personnel, constituent des actes contraires aux pouvoirs qui lui avaient été confiés et ont eu des conséquences sur les charges financières et l’image de la société.
Le dirigeant forma pourvoi contre cet arrêt, notamment au motif de la requalification de la prévention, celui-ci ayant été poursuivi en premier lieu pour abus de confiance, puis après requalification pour abus de pouvoirs.
La Chambre criminelle, par cet arrêt du 16 mai 2012, a rejeté le pourvoi du dirigeant, en considérant :
– que l’abus de pouvoir était caractérisé le prévenu ayant abusé des pouvoirs qu’il détenait en qualité de président du conseil d’administration,
– en s’assurant le contrôle du comité des rémunérations,
– et en ne mettant pas les membres du conseil d’administration en mesure de remplir leur mission.
La Chambre criminelle a également rejeté l’argument relatif à la requalification, estimant que pour opérer cette requalification, les juges avait préalablement vérifié que l’abus de pouvoirs procède du même usage abusif du statut de dirigeant d’une société anonyme, à des fins personnelles et contraires à l’intérêt social, est réprimée par les mêmes peines et que cette nouvelle qualification sollicitée par le ministère public, avait fait l’objet d’un débat contradictoire.
Une telle position est toutefois discutable car l’on s’aperçoit qu’en réalité, le prévenu n’a été condamné qu’ in fine devant la Cour d’appel, à la suite d’une relaxe intervenue devant le Tribunal correctionnel.
Si la prévention d’abus de pouvoirs est certes proche de celle d’abus de biens sociaux, elle ne lui est pas pour autant identique, et dispose ainsi d’une incrimination propre visée au 4° de l’article L. 243-6 du Code de commerce.
C’est précisément l’intérêt d’une requalification que d’adopter, au regard des faits, la prévention la plus adéquate.
Or, si en l’espèce le prévenu a, d’après les termes de l’arrêt, pu discuter contradictoirement cette qualification, il a en revanché été privé d’un double degré de juridiction, la requalification étant n’ayant été sollicitée qu’en cause d’appel par le ministère public.
Cela prive singulièrement le prévenu du droit de véritablement combattre cette nouvelle prétention, et en particulier de faire valoir son droit à une défense effective, en faisant citer des témoins et en produisant des preuves de nature à contester cette nouvelle qualification.
Un recours devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme relatif à ce dernier point ne serait donc pas particulièrement surprenant.
Florent LOYSEAU de GRANDMAISON